l'iconographie de la peste de marseille
l'iconographie de la peste de marseille
retour au début
la
peste de 1720 est apparemment l' épisode de l' histoire de marseille
qui a fait naître le plus grand nombre de représentations
peintes, gravées ou sculptées et sans doute le plus d' ouvrages
de toute sorte, du récit fait par des témoins à des
romans historiques très récents
toto
1
j' ai catalogué de façon provisoire
57 oeuvres originales dont 23 toiles et 8 oeuvres statuaires.
marie-claude homet a fait généreusement bénéficier
cette collecte de plusieurs découvertes inédites
et je tiens à l'en remercier chaleureusement. les limites
de cette communication ne permettaient guère qu'une première
approche de cet ensemble fort riche.
1
.
cette double prolifération de l' image et du texte paraît
d'emblée remarquable. contrairement en effet aux affirmations de
nombre d' historiens, il semble difficile de considérer la peste
de 1720 comme le seul, voire le principal événement tragique
de l' histoire marseillaise. les deux catastrophes majeures qu' a connues
marseille sont vraisemblablement le sac de la ville par les aragonnais
en 1423 et la seconde guerre mondiale.
nombre
d' ouvrages affirment certes que la peste de 1720 fut une épidémie
sans équivalent avec les précédentes mais cette assertion
me paraît assez imparfaitement démontrée 2
2
ainsi dans le principal ouvrage disponible sur
l' événement, celui de c. carriere, m. courdurie
et f. rebuffat, marseille ville morte, la peste de 1720 (marseille,
1968), f. rebuffat a-t-il opté pour l' estimation maximaliste
de 50 000 morts pour la ville et le terroir sans avoir, à
ma connaissance, justifié par ailleurs dans une publication
à caractère scientifique cette évaluation
obtenue "par un procédé graphique et avec l'aide
d'autres sources de calcul".
.
j' avancerai plutôt l' hypothèse que tout événement
étant, on le sait, très largement construit et interprété
par les textes et les images, c'est cette documentation exceptionnelle
qui pourrait avoir accrédité l' idée de l'exceptionnelle
gravité de la peste, sans pour autant en servir de preuve. elle
est simplement un indice de l' importance considérable que ses
contemporains puis les générations suivantes lui ont accordée.
l' on ne saurait en effet se borner à considérer l' iconographie
que la peste a inspirée pendant près de deux siècles
comme le reflet plus ou moins fidèle de celle-ci et je voudrais
montrer ici qu' elle est plutôt l' écho des représen-tations
successives que chaque génération s' en est faites presque
jusqu' à aujourd' hui.
une dizaine d' oeuvres semblent immédiatement réalisées après l' événement. trois toiles de michel serre; quatre gravures de jacques rigaud, un ex-voto de françois arnaud pour le second monastère de la visitation de marseille, une toile de jean-françois de troy ; enfin une esquisse non signée du musée de rouen, attribuée à dandré-bardon et qui pourrait dans ce cas avoir été peinte par ce dernier dans l'atelier de de troy. cette dernière oeuvre reste très mal documentée et je ne la prendrai pas en compte ici. on sait que michel serre était commissaire du quartier de saint-ferréol pendant la peste, où il eut une attitude courageuse ; il s' agit donc d' un témoin direct. il est possible que j. rigaud ait été alors présent à marseille ; du moins ses gravures auraient été selon leur légende "dessinées sur le lieu pendant la peste arrivée en 1720". de troy n' est pas en revanche témoin de l'événement.
un artiste qui souhaitait représenter la peste marseillaise avait surtout besoin de vues assez précises de la ville pour servir de décor à ses scènes de genre. de troy a ainsi pu faire prendre des croquis du paysage où se situe son tableau. de surcroît, les peintres disposaient d' une littérature narrative publiée sitôt après la fin du fléau, ainsi les récits du docteur bertrand ou de pichatty de croissainte. rappelons d' ailleurs que la représentation de la calamité est un thème pictural noble (peste d' athènes, d' ashod, de phrygie, de milan), et que les dessins de corps contorsionnés sont un des exercices de l' anatomie académique.
deux
groupes s'isolent très nettement par leur thème et leur
postérité. d' abord, deux toiles de m. serre, la
vue de l' hôtel de ville
et la
vue du cours
pendant la peste, décrites dès 1723 dans le mercure de france
et montrées à cette date à la foire saint-germain.
l' on doit les rapprocher des quatre gravures de j. rigaud, deux représentant
le
cours
et deux l' hôtel de ville, avec des variantes dans le détail
des scènes; donc les mêmes sites que les toiles de serre,
sans que l' on puisse les considérer avec certitude comme une libre
interprétation des toiles de ce dernier, les différences
étant fort nombreuses dans la représentation du décor
bâti.
un
second groupe d' oeuvres illustre l' action du chevalier roze
à la tourette : la
troisième toile de m. serre,
le tableau de de troy,
peint en 1725 et gravé
en 1727 par thomassin,
et l' esquisse anonyme du musée de rouen. a la différence
des précédentes, ces oeuvres semblent correspondre
à des commandes privées, peut-être du chevalier
roze et de son frère; seul le tableau de de troy a été
diffusé par la gravure (thomassin, 1727 et graveurs du
xixe siècle); les deux autres n' ont été
découverts et publiés qu' assez récemment.
la peste a fait naître à travers ces oeuvres une iconographie originale de la ville, qui va s' imposer pendant au moins une génération. marseille avait jusqu' ici fait l' objet de gravures qui représentaient la ville dans sa globalité, vue depuis les hauteurs environnantes. un type plus rare de gravures, celles d' i. silvestre, avait choisi d' isoler un petit nombre de monuments, saint-victor, la major, la porte réale. m. serre et rigaud lancent deux images nouvelles: le quai du port devant l' hôtel de ville et surtout la perspective du cours. la peste est bien décrite par ses ravages en site urbain, mais non dans la vieille ville: ce sont deux aspects prestigieux de la cité que ces artistes imposent, les deux réalisations architecturales majeures de la génération précédente, l' arsenal excepté : le message est bien le triomphe momentané de la barbarie au coeur de l' urbanité, le retour d' un fléau d' un autre âge dans le décor de la modernité urbaine de l'âge baroque, le désordre de la mort dans une architecture ordonnancée symbole de la vitalité de la cité.
aussi
doit-on souligner un second trait : l' oeuvre de serre et rigaud et dans
une moindre mesure celle de de troy décrivent avec réalisme
les méfaits de la peste par des amoncellements de cadavres raidis.
tous trois montrent de façon panoramique de larges portions du
paysage urbain jonché d' agonisants et surtout de cadavres qui
se comptent par plusieurs dizaines, chiffre qui ne sera plus atteint par
les oeuvres postérieures. la description est la plus ample et la
plus variée chez
michel serre
qui est justement un témoin privilégié de la peste
et semble bien traduire l' émotion visuelle qu'il a ressentie.
non
moins remarquable est le moment où se situent ces oeuvres et qui
semble en fait la transition entre deux périodes : celle où
l' épidémie atteignant son paroxysme les mourants et les
morts s' amoncellent dans les espaces publics et le temps où la
peste commence de décroître et où des mesures sont
prises pour assainir la ville et en particulier résorber le retard
pris dans les inhumations : il y a là un raccourci chronologique
qui montre simultanément l' ampleur de la catastrophe et la lutte
des détenteurs de l' autorité pour contrôler à
nouveau la situation. l' on voit dans les oeuvres de serre et rigaud,
en particulier au premier plan, s' activer des
personnages qui ne sont visiblement pas pestiférés.
un
ordre relatif semble subsister à travers le chaos et l' on retient
le passage d' un corps de garde parmi les cadavres, la présence
sur la toile de l' hôtel de ville de nombre de gens du bel air,
parmi lesquels un gentilhomme à cheval qui semble bien le
chevalier roze
; mgr
de belsunce
apparait sur les deux toiles, ainsi que sur les gravures de rigaud. le
tableau de serre qui décrit le cours présente d' ailleurs
en un coin inférieur une légende qui fournit l' identification
des principaux notables représentés.
le
fait est encore plus évident dans le second groupe de représentations
contemporaines de l' événement, la troisième toile
de m. serre et celle peinte par de troy qui mettent en scène le
chevalier roze à la tourette
:
l' accent est mis davantage encore sur sa désinfection et la liquidation
des traces du fléau. il s' agit d' un retour à l' ordre
au moyen d' un déblaiement héroïque où les qualités
humaines sont en passe de l' emporter sur le fléau. a noter d'
ailleurs que les véritables héros auquels ces oeuvres rendent
implicitement hommage mais que la postérité oubliera ou
refusera de célèbrer sont les nombreux galériens
qui charrient les corps et les soulèvent pour les hisser sur des
chariots et dont la plupart ne survécurent pas.
les gravures de rigaud sont à l'origine d'un nombre important d'autres
gravures et en particulier des
vues d'optique
dont les légendes laissent penser que certaines sont d'origine
étrangère. il reste cependant très difficile de les
dater 3
toto
3
j' ai renoncé à inventorier ces
productions de seconde main, bien représentées
dans les collections publiques marseillaises, mais qui apportaient
peu à mon propos. je n'ai pas non plus pris en compte
les projets de médailles et les médailles frappées
à l' occasion de la peste.
.
la tentation est grande de considérer que plus l'on s'éloigne
de l'événement et plus la représentation des pestiférés
regresse mais sans doute faut-il ne pas y succomber: à l' évidence
c' est le décor urbain et non l' anecdote qui intéresse
certains graveurs soucieux de montrer une grande ville méditerranéenne
et ses monuments. en effet cette iconographie semble avoir eu une double
postérité: elle met en scène une catastrophe majeure
du xviiie siècle dont le caractère sensationnel explique
les nombreux démarquages des images de rigaud ; mais marseille
est aussi une des principales cités portuaires de l'europe et les
officines d'illustrateurs disposent alors d'assez peu d'images d'elle
à copier. le tableau de de troy semble avoir eu un succès
moindre, peut-être parce qu'il représentait un paysage urbain
assez peu typé et sans caractère monumental, peut-être
aussi parce qu'il paraît être considéré davantage
comme une oeuvre d'art représentative du grand genre de la peinture
d' histoire que comme un témoignage historique de première
main.
l'
ex-voto d' arnaud excepté, deux oeuvres seulement suggèrent
que la peste pourrait être une punition divine: une des représentations
du cours par rigaud montre
trois anges brandissant des verges parmi les
nuées;
dans la toile de de troy deux
anges armés de verges planent dans un ciel d' orage.
ce thème devant lequel rigaud paraît hésiter et qui
est absent chez serre sera sans grande postérité iconographique,
si l' on excepte un
des bas-reliefs latéraux de la statue de mgr de belsunce par ramus
(1852) où l' ange de la mort rengaine son glaive devant le sacré-coeur.
l'on
retrouve une vue du cours dans la toile tout à fait exceptionnelle
de françois arnaud, également commissaire de son quartier
pendant la peste, l'
ex-voto peint pour le second monastère de la visitation de marseille
en 1721.
cette commande d' une communauté religieuse établie dans
la ville nouvelle entre le cours et le rempart combine une scène
réaliste de la peste avec une double représentation de l'au-delà
: celle du purgatoire où vont les pestiférés et celle
des cieux où la vierge et les saints intercèdent auprès
de dieu et du christ. l'iconographie religieuse qui s'impose à
marseille pendant le xviii° siècle est beaucoup plus allusive,
de façon sans doute significative du traumatisme causé par
le fléau.
il
est remarquable que l' initiative en revienne en partie aux intendants
de la santé, dont on sait la responsabilité dans la propagation
initiale de la peste de 1720 et qui semblent soucieux d' avoir sans cesse
sous les yeux non pas le souvenir de l' épidémie de 1720
mais le rappel de la menace potentielle de peste : en 1790 le bâtiment
de la consigne sanitaire rassemble quatre oeuvres d'art dont trois représentent
saint roch, saint antipesteux traditionnel, la quatrième étant
le
bas-relief de p. puget, saint charles borromée priant pour la cessation
de la peste de milan,
antérieur donc d'une génération à la peste
de 1720 et acquis en viager en 1730.
dans
l' oeuvre la plus célèbre qu'ait commandée le bureau
de la santé, la
toile de louis david saint roch implorant la vierge pour les pestiférés,
le paysage suggéré à l'arrière-plan semble
plus romain que marseillais. au total ces oeuvres présentent un
caractère fort traditionnel : l'intercession de saint roch s'est
révélée vaine en 1720 et la postérité
a plutôt retenu la consécration du diocèse puis de
la ville au sacré-coeur. l' absence de ce dernier est donc remarquable
dans ces tableaux : le voeu de mgr de belsunce n' apparaît guère
que dans une
gravure de michel
restée quasiment inconnue. marseille n'est pas encore la ville
du sacré-coeur dans l' iconographie du xviiie siècle, peut-être
par crainte des moqueries de jansénistes, et l'on verra que la
promotion de ce thème sera tardive.
3
j' ai renoncé à inventorier ces productions de seconde main, bien représentées dans les collections publiques marseillaises, mais qui apportaient peu à mon propos. je n'ai pas non plus pris en compte les projets de médailles et les médailles frappées à l' occasion de la peste.
l'iconographie
et l'historiographie du xix° siècle oscillent donc entre deux
héros de la peste: version religieuse, celle de mgr de belsunce;
version profane puis laïque, celle du chevalier roze. dans les deux
cas l' on dispose certes de leurs portraits: mais m. serre fournissait
également ceux d' autres héros de la peste, souvent cités
dans les textes contemporains. en fait les biographies qui attirent l'attention
sur l'évêque et le chevalier insistent fortement sur le caractère
exemplaire et complémentaire de l'action de ces deux bienfaiteurs
de l'humanité, l'un illustrant le courage religieux et l'autre
le courage civil et tous deux le dévouement sans mesure au service
de leurs semblables. le xixe siècle va consacrer publiquement de
tels mérites par l'érection de statues en bronze en des
lieux significatifs: le cours qui devient le cours belsunce en 1853 pour
l' évêque (statue
colossale en pied)
et la tourette en 1881 pour le chevalier roze (buste
colossal).
leurs effigies (par travaux) figurent également dans la galerie
des grands hommes du département établie sur les
façades de la préfecture;
si l' on ajoute celle de pierre puget dans la cour d' honneur, il s' agit
des seules statues de l' ensemble du monument qui évoquent marseille.
le fait mérite que l' on s' y arrête: en un siècle
où le culte des grands hommes est à l' honneur et où
les hommes célèbres nés dans une ville sont un des
symboles de cette dernière, marseille est la ville de puget et
de belsunce, dans une moindre mesure du chevalier roze.
le tableau peint sous le second empire par magaud pour la galerie artistique du cercle religieux sur le thème général du "génie civilisateur du catholicisme" illustre le "génie civil"et constitue l' exception qui confirme la règle; l' artiste y a représenté les échevins et leur secrétaire, en compagnie de l' évêque et du chevalier roze montrant du bras la tourette à l' arrière-plan, et ces deux derniers personnages paraissent dicter aux édiles leur conduite. l'ensemble de ces oeuvres tend à imposer la même lecture de la peste: elle constitue avec le recul du temps une étape déterminante de la lutte de l' occident pour faire reculer la mort, un moment marquant aussi dans la découverte de la solidarité humaine, et elle est désormais réinterprétée à travers le modèle des épidémies de choléra du xixe siècle.
néanmoins
les représentations des deux héros se raréfient sous
la troisième république. la toile le
chevalier roze aux accoules peinte par j.-b. duffaud
en 1911 multiplie les approximations voire les erreurs mais annonce l'
entrée de la peste dans l' imaginaire. la scène est pour
la première fois située au coeur de la vieille ville, perçue
depuis un siècle comme un site insalubre ; les silhouettes fantaisistes
de pénitents qui accompagnent le chevalier roze semblent en fait
correspondre à une iconographie jusqu' alors marginale mais qui
ne va cesser de prendre de l' importance : celle qui décrit le
costume qu' auraient utilisé les médecins lors de la peste
de 1720, symbole de la lutte de l' hygiène contre la maladie. l'
oeuvre de duffaud marque presque le chant du cygne de l'iconographie du
chevalier roze ; un projet ultérieur de m. barret n'aboutira pas,
faute de commande publique : l' épidémie de peste est un
phénomène disparu de marseille depuis près de deux
cents ans et paraît désormais une maladie exotique.
l'
iconographie de mgr de belsunce se maintient une génération
de plus grâce au culte du sacré-coeur qui s'est généralisé
dans la catholicité au cours du xixe siècle. la commémoration
religieuse de la peste est devenue un enjeu politique sous la troisième
république à la suite du refus des municipalités
anticléricales de continuer l' offrande du cierge votif lors de
la messe des échevins, de l' interdiction à partir de 1878
des processions publiques, enfin du transfert en 1891 de la statue de
l'évêque devant l' évêché. sitôt
après la première guerre mondiale, deux églises importantes
intégrent dans leur iconographie le rappel du voeu de la peste
: h.
reybaud le représente sur le tympan de l' église saint-martin
d' arenc
mais c' est surtout le décor de l'église
du sacré-coeur du prado par h. pinta
qui constitue la dernière oeuvre originale consacrée au
fléau. les mosaïques de l'abside et deux vitraux offrent une
évocation aseptisée de la peste, davantage suggérée
par les "corbeaux" que par les pestiférés; un
vitrail plagie la toile de d. magaud. l' iconographie de la nouvelle église
s'efforce très tardivement d'imposer une nouvelle image que résume
le titre de l'ouvrage du jésuite lauriol paru en 1920: "marseille,
ville du sacré-coeur". l'inachèvement de l'édifice
suggère l'échec de cette tentative.
le
bicentenaire du fléau met ainsi pratiquement fin à l' iconographie
créative de la peste 6
toto
6
lors de la présentation de cette communication, i. bonnot-rambaud observa à juste titre que la dernière évocation graphique de la peste était l' affiche éditée en 1947 par la ville de marseille à l' appui de sa campagne de dératisation. ses fonctions n' étant point de commémoration mais de prophylaxie, elle présente une iconographie foncièrement différente de celle qui est ici décrite (rats sur un monceau de déchets, crâne et faux symbolisant la mort).
.
une iconographie documentaire se développe en revanche grâce
à la photographie. elle a d' abord tiré parti des gravures
de rigaud et de thomassin d' après de troy ; puis a imposé
le thème de la lutte sanitaire. l'on connaît en effet depuis
la dernière décennie du xixe siècle l' origine et
les vecteurs de la peste et l' accent est mis sur la protection de la
contagion. un mémorial d' un type tout à fait nouveau est
créé dans les premières décennies du xxe siècle:
les vitrines puis la salle consacrées à la peste au musée
du vieux-marseille. elles font naître un dernier avatar iconographique
:
les instruments
qui auraient été utilisées pendant la peste pour
donner la communion, soigner les malades ou manipuler les cadavres et
surtout le
costume
que les médecins auraient porté pour se préserver
du risque contagieux. ces accessoires n' apparaissent pas dans les oeuvres
contemporaines de la peste ; néanmoins leur fortune est nette au
xxe siècle. ils constituent ainsi les deux seules illustrations
de l'ouvrage de c. carrière, m. courdurié et f. rebuffat,
marseille ville morte, si l' on excepte une évocation assez elliptique
de la ville en frontispice, sans le moindre pestiféré .
y
aurait t-il une nouvelle vision de la peste au cours des dernières
décennies ? la restauration des deux toiles de serre et la redécouverte
de celle du musée atger de montpellier constituèrent en
1978 l' un des événements de la grande exposition les peintres
provençaux du xvii° siècle 7
7
la peinture en provence au xviie siècle, catalogue de l' exposition du musée des beaux-arts de marseille, juillet-octobre 1978 (notice sur serre par m.-c. homet, p. 138-150); voir aussi m.-c. homet, michel serre et la peinture baroque en provence, aix, 1987.
.
ces oeuvres, dont des détails seront ensuite fréquemment
reproduits, semblent avoir réintroduit dans
l' illustration d' ouvrages
historiques et surtout dans des films les visions de l' agonie et du cadavre.
la peste a fait l' objet de films
documentaires
destinés à la télévision 8
8
"la peste" réalisé par jean cazenave en 1974 dans la série "histoire des gens" de pierre dumayet (durée 1 heure mais partiellement consacré à la peste de 1720), "un mal qui répand la terreur" de samuel itskowitsch (durée 19 mn, 1978, "flash") et "la peste -marseille 1720" de michelle porte (durée 52 mn, 1981). ces trois oeuvres sont longuement analysées dans le mémoire de maîtrise de m. crivello, "mémoire historique et télévision, l' image de la jérusalem désolée , la peste de 1720 à marseille", aix, 1984, dir. b. cousin et p. joutard. rappelons par ailleurs la pièce de d. cier, scènes de la vie marseillaise pendant la peste de 1720 , préface de m. vovelle, avignon, 1979.
.
je me bornerai à noter que tous trois s' inscrivent en rupture
avec une large part de l' iconographie existante à la fois parce
que leurs sources sont essentiellement des textes et parce qu' ils reflètent
l' imaginaire et les préoccupations de leurs auteurs et leur époque.
la plupart de leurs scènes se déroulent dans la vieille
ville alors que le cours n' est plus évoqué qu' à
travers des extraits de l'oeuvre de m. serre. un monument inconnu de l'iconographie
antérieure, la vieille charité, y fait une apparition remarquée:
il s' agit d' un ancien hôpital et les textes des contemporains
y situent des épisodes de la peste. aucun de ces films ne prend
vraiment pour héros le chevalier roze ou mgr de belsunce. c'est
en fait le triomphe soudain et momentané de la mort qui constitue
leur thème essentiel, d'où l' accent mis sur les victimes
et l'importance documentaire des tableaux de serre, dont les recadrages
isolent les détails morbides.
cette
longue mémoire d' un désastre ne saurait surprendre que
de prime abord. les grandes catastrophes conservent un aspect sensationnel
quasi permanent et continuent d'exciter vivement la curiosité,
voire de fasciner à travers les siècles. la peste était
de surcroît en 1720 une maladie dotée d'un important légendaire
mais presque disparue de france depuis plus d'une génération
qui revenait faire une dernière apparition meurtrière, d'
où cet aspect de traumatisme durable dans la mémoire collective
que ne présentaient pas les pestes précédentes -
d' ailleurs européennes - et le succès d' une iconographie
montrant ce fléau d'un autre âge dans le cadre d'une grande
ville moderne, principale victime de ce qui restera la "peste de
marseille". plus inattendue est la fixation du xixe siècle
sur les deux "héros de la peste" qui correspond certes
à un temps d' exaltation du grand homme se dévouant au service
de la collectivité et prêt à se sacrifier pour le
bien commun mais aussi peut-être à une vision optimiste :
si de la mer peuvent provenir tour à tour la fortune ou le malheur
de marseille, la ville trouve alors en son sein les grands hommes qui,
l' iconographie aidant, feraient presque figure de vainqueurs du fléau.
enfin le xxe siècle finissant serait plutôt porté
à mettre l'accent sur l'ampleur mortifère de la contagion
pour en dégager une leçon implicite d'espoir en ces temps
de crise portuaire et urbaine: marseille a dû affronter au cours
de son histoire de grands malheurs dont elle est cependant parvenue à
triompher .9
9
l'ouvrage collectif dirigé par p. joutard, histoire de marseille en treize événements , marseille, 1988, où j' ai traité de la peste de 1720 s' inscrit dans cette dernière interprétation; son abondante illustration confirme le "retour du cadavre" par ses emprunts aux tableaux de m. serre.
sous
le consulat et l' empire chardigny sculpte deux oeuvres: saint
roch
pour remplacer une statue détruite à la révolution
sur le fronton de la consigne et
le génie de santé
pour la colonne commémorative de la peste (1802). ce mémorial
assez tardif, dû à l'initiative du préfet c. delacroix,
est révélateur de la place accordée à l' événement
dans l'histoire de marseille. il est dédié " à
l'éternelle mémoire des hommes courageux (qui) se dévouèrent
pour le salut des marseillais dans l' horrible peste de 1720", dont
les noms sont énumérés sur les faces du socle. ce
monument qui n'est pas consacré aux victimes du fléau mais
à ceux qui tentèrent de le combattre annonce d'emblée
la glorification des "héros de la peste" qui va occuper
tout le siècle.
l'on
ne rencontre plus guère en effet au xixe siècle ces larges
vues panoramiques de la ville semées de morts et de mourants qu'inspiraient
au siècle précédent les oeuvres de serre et rigaud
4
4
a deux exceptions près, particulièrement intéressantes:
la gravure de beisson publiée pour le centenaire du voeu de
la peste constitue la dernière vaste représentation du cours
pestiféré (où les morts ont laissé une large place aux assistants,
regroupés autour de l'autel); elle marque aussi l'apparition
d'une iconographie nouvelle, celle du voeu de la peste et de
la messe de mgr de belsunce. enfin le ciel renferme le sacré-coeur
adoré par les anges et par saint roch. la toile offerte vers
1825 par le baron gérard à l'intendance sanitaire est doublement
originale: la peinture de la mort y fait un dernier retour en
force puisqu' elle occupe les premiers plans avec un pestiféré
dans les affres de l'agonie; la représentation d'un belsunce
distribuant des pains sur le seuil de l' hôtel de ville propose
une version profane de son action tout à fait exceptionnelle.
et seul le tableau de de troy continue d'inspirer les graveurs. les évocations
de la peste se partagent, si l'on excepte une
oeuvre de magaud,
entre une quinzaine de représentations de mgr de belsunce - des
portraits, mais plus souvent l'
évêque administrant les pestiférés et surtout
célèbrant la messe sur le cours
- et une dizaine d'oeuvres qui font référence au chevalier
roze 5
toto
5
ce comptage est inférieur à la réalité. pour mgr de belsunce, je n' ai retenu ici que les portraits qui faisaient explicitement référence à la peste par le texte ou l' image (petite scène à l' arrière-plan chez lamy par exemple); j' ai par ailleurs exclu cinq gravures représentant la statue de ramus. dans le cas du chevalier roze, je n'ai pas comptabilisé les gravures du tableau de de troy parues au cours du xixe siècle (par sotaine, l. flameng ou anonymes); certaines illustraient des ouvrages historiques traitant de la régence ou des épidémies, d' autres des manuels d' histoire de l'art. de plus, le portrait gravé par aubert semble avoir été à l'origine d' autres gravures.
.
l'
on retrouve en effet dans l' iconographie les deux traits qui ont marqué
la première épidémie cholérique : le dévouement
du clergé administrant les derniers sacrements et les efforts de
la municipalité, aidée par des notables, pour faire face
à une augmentation rapide des décès et organiser
leur inhumation et finalement vaincre l' épidémie, éventuellement
avec l'aide divine. fait significatif, la chapelle du sacré-coeur
de l'église notre-dame du mont présentera longtemps en pendant
une toile
d' aubert sur le thème du voeu de mgr de belsunce
et une toile
de nancy représentant mgr de mazenod
renouvelant ce voeu lors de la première épidémie
de choléra.
la mauvaise qualité de la photographie ne permet pas d'agrandir
cette image
retour au début
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texte extrait de :
images de la provence. les représentations iconographiques de la
fin du moyen age au milieu du xxe siècle
centre méridional d'histoire
publications de l'université de provence, 1992
l'iconographie de la peste de marseille Précédent 705 Précédent 704 Précédent 703 Précédent 702 Précédent 701 Précédent 700 Précédent 699 Précédent 698 Précédent 697 Précédent 696 Précédent 695 Précédent 694 Précédent 693 Précédent 692 Précédent 691 Précédent 690 Précédent 689 Précédent 688 Précédent 687 Précédent 686 Précédent 685 Précédent 684 Précédent 683 Précédent 682 Précédent 681 Précédent 680 Précédent 679 Précédent 678 Précédent 677 Précédent 676 Suivant 707 Suivant 708 Suivant 709 Suivant 710 Suivant 711 Suivant 712 Suivant 713 Suivant 714 Suivant 715 Suivant 716 Suivant 717 Suivant 718 Suivant 719 Suivant 720 Suivant 721 Suivant 722 Suivant 723 Suivant 724 Suivant 725 Suivant 726 Suivant 727 Suivant 728 Suivant 729 Suivant 730 Suivant 731 Suivant 732 Suivant 733 Suivant 734 Suivant 735 Suivant 736