comment épurer marseille, l’« incurable », par françois ruffin (le monde diplomatique)
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— janvier
2007
les touristes n’apprécient pas les cités frondeuses
comment épurer marseille, l’« incurable »
une histoire de marseille. c’est ce que que nous livre alèssi dell’umbria, et c’est bien davantage aussi (1). c’est comme un creuset, encore chaud, où toutes les sciences sociales se seraient fondues, la linguistique, les arts, l’ethnologie, l’urbanisme, l’économie, etc., projet total d’humaniste touche-à -tout qui passe, en quelques pages, parfois dans le même chapitre, de l’industrie des oléagineux au rôle de l’automobile, des navires à double coque aux « pagnolades » littéraires. l’auteur embrasse mille ans et tant de champs, mais qu’on ne croie pas qu’il se perde en route. des fils demeurent, solides, qui nous conduisent à bon – ou mauvais – port.
c’est l’histoire d’une réalité devenue utopie, d’abord : de la respublica de marsalha aux frondes, aux sécessions, aux révolutions en provence, l’espoir a longtemps perduré chez le peuple marseillais, espoir qui nourrit ses combats, que le pouvoir reviendrait entre ses mains, local, municipal, librement élu, plutôt que de s’échapper vers le nord, arbitraire et lointain. l’ironie voudra que le rêve se brise, définitivement, au moment où paris formulait les mêmes vÅ“ux, en 1871, aspirant après mikhaïl bakounine, après pierre joseph proudhon, à une « fédération libre de communes autonomes ».
c’est l’histoire aussi, en filigrane, de la construction d’une nation, mais vue d’ailleurs que de la capitale. au fur et à mesure que l’etat français s’établit, se renforce, se renferme, marseille perd son espace de respiration, entre gênes et barcelone, au cœur de la méditerranée, et la cité devient l’appendice méridional de versailles, puis de paris. les gouvernements en feront leur port colonial, avant que le soleil des indépendances ne se lève sur le maghreb, et ne conduise la ville au déclin.
c’est l’histoire, enfin, d’une élite provinciale qui s’allie aux affairistes parisiens, aux ministères, aux militaires, afin que disparaisse, pan après pan, toute la phocée antique et son esprit avec, tout le marseille médiéval, dédale de ruelles remplacées par des avenues haussmanniennes, ou par rien du tout, car mieux vaut le néant, un terrain vague, que ces nids de gueux où s’agitent les idées malsaines. et si la plus vaste opération immobilière fut, certes, menée par la wehrmacht, le vieux-port rasé en février 1943, mille quatre cent quatre-vingt-deux maisons dynamitées, « tout le berceau historique rayé de la carte » en deux semaines, si l’armée allemande se chargea de la sale besogne, ce fut avec le plein accord des autorités françaises, avec l’adhésion silencieuse des notabilités locales, et suivant un projet architectural, officiel, rendu avant guerre.
« on va épurer marseille, qui en a bien besoin », annonçait pierre laval en janvier 1943. c’est bruno le dantec qui nous rappelle cette promesse (tenue) dans psychogéographie (2). ce recueil de citations souligne bien la continuité d’une histoire, de louis xiv, qui fait tourner les canons vers la cité « de peur que la fidèle marseille, trop souvent en proie aux criminelles agitations de quelques-uns, ne mène à leur perte la ville ou le royaume, par une trop grande passion de la liberté », au proconsul de la convention louis fréron, qui déclarait : « je crois que marseille est incurable à jamais, à moins d’une déportation massive de tous les habitants et d’une transfusion d’hommes du nord », en passant par m. jean-claude gaudin et son adjoint à l’urbanisme, qui rénovent au kärcher : « on a besoin de gens qui créent de la richesse. il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. le cÅ“ur de la ville mérite autre chose (3). » car c’est une histoire encore en cours que nous conte dell’umbria, et la dernière partie de son ouvrage, chargée de mélancolie et de colère, décrit marseille, mais tout aussi bien lyon, bruxelles ou paris, dresse le tableau époustouflant d’une ville vidée de son port et de ses industries, désormais livrée aux touristes et aux attachés-cases, avec le soleil pour dernière ressource.
françois ruffin.
histoire,
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françois ruffin
journaliste, auteur de quartier nord, fayard, paris, 2006.
(1) alèssi dell’umbria, histoire universelle de marseille. de l’an mil à l’an deux mille, agone, marseille, 2006, 756 pages, 28 euros.
(2) antoine d’agata (photographies) et bruno le dantec (texte), psychogéographie, le point du jour editeur, paris, 2005, 70 pages, 30 euros.
(3) le figaro, paris, 18 novembre 2003.
voir aussi
penser la ville pour que les riches y vivent heureux, par françois ruffin
édition imprimée
— janvier 2007
— page 15
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