petit guide irraisonné de marseille
petit guide irraisonné de marseille
petit guide irraisonné
de marseille
par jean-claude izzo
en arrivant par la mer. marseille, on ne peut l'aimer qu'en arrivant
par la mer. au petit matin, à cette heure où le soleil, surgissant
derrière le massif de marseilleveyre, embrase ses colline et redonne
du rose à ses vieilles pierres. on découvre alors la ville
comme protis le phocéen la découvrit, il y a deux mille six
cents ans. et qu'importe si c'est exagérer de dire ça. marseille
exagère, toujours. c'est son fond. et, dans le fond, rien n'a changé
depuis ce jour-là.quand la rade vous ouvre ses bras, alors, alors
seulement, on perçoit le sens, éternel, de cette ville. l'accueil.
car marseille est faite d'ailleurs, d'exils, et elle se donne sans résistance
à ceux qui savent la prendre, l'aimer. ici, on est chez soi. d'où
que l'on vienne. et personne, jamais, ne vous demandera d'où vous
arrivez, exception faite des flics, la nuit.
la lumière et le vent. on ne comprend rien à marseille
si l'on est indifférent à sa lumière. elle est palpable,
même aux heures les plus brûlantes. quand elle oblige à
baisser les yeux. marseille est ville de lumière. et de vent. ce
fameux mistral qui s'engouffre dans le haut de ses ruelles et balaie tout
jusqu'à la mer. jusqu'au large des îles du frioul. jusque
après planier, le phare, aujourd'hui éteint, reconverti en
école de plongée, qui indiquait à tous les marins
du monde que marseille était à portée de main, et
que ses femmes, putes ou pas, leur feraient oublier la passion des mers
et des îles lointaines.
se régaler du mythe. marseille est un mythe. c'est ça,
seulement, qu'il y a à voir. à épouser. le reste peut
y être aussi futile, ou vaniteux, qu'ailleurs. on pourrait même
dire que la ville est à l'image de ces fausses blondes que l'on
croise dans les rues. elles ne donnent à voir que ce qu'elles ne
sont pas.vanités second empire de la richesse coloniale du palais
du pharo, qui se rince magnifiquement l'il sur la baie et sur la ville,
et du palais longchamp, qui la domine, mais dont l'avenue conduisant à
la mer s'échoue, et se perd, dans un entrelacs de ruelles oubliées
de tous. futilités des rénovations, réhabilitations
du quartier des grands carmes, du vieux quartier du panier, où l'ocre
neuf des façades à l'italienne tente de faire oublier à
tous les racines antiques de la ville, grecques, tragiques, donc, coulées
sous des tonnes de béton pour créer des centres commerciaux,
des parkings aux noms évacuant toute rêverie maritime, orientale,
aventureuse. charles de gaulle contre pythéas. pythéas pourtant
qui bouleversa la géographie, en découvrant la route des
pôles, et qui eut raison contre strabon.
décalage des perspectives. alors, par dépit, on
prend le ferry-boat. le marius.qui perpétue la gloire de pagnol
et de raimu. pour tenter, une nouvelle fois, en reliant le quai de la mairie
au quai de rive-neuve, de comprendre cette ville.atypique n'est pas le
mot. décalée est plus exact. comme la gare saint-charles.
avec ses escaliers monumentaux tournés vers la ville. et avec sa
façade, magnifique, qui regarde vers le port, la mer, l'orient.
la traversée est brève. de la place de la mairie à
la place aux huiles. là, sur le quai, trône la statue de vincent
scotto qui chanta, et fit chanter, le petit peuple de marseille. on peut
refaire la traversée une nouvelle fois. dans l'autre sens. c'est,
d'un quai à l'autre, les yeux tournés une fois vers le large,
une fois vers la canebière, que cette ville se révèle.
que l'on comprend, enfin, qu'il faut se laisser porter par elle, par ses
rues, par ses collines.
les collines qui descendent vers la mer. c'est seulement en marchant,
en flânant dans cette ville que l'on prend conscience que l'on n'arrête
pas de monter, de descendre, de remonter. alors que, jusqu'à ce
moment-là, on a cru qu'il n'y avait qu'une seule colline, celle
où trône notre-dame de la garde. la bonne mère, qui
le jour, brille sous le soleil, et la nuit sous les sunlights. comme un
cierge éternel. oui, marseille se joue des perspectives. ça
grimpe dur, pour accéder au vieux quartier, au panier, par les escaliers
des carmes. arrivé place des moulins, on se découvre aussi
haut que la gare saint-charles, plus haut que l'église des réformés
en haut de la canebière, aussi haut que la place jean-jaurès,
dite la plaine. et l'on se prend à imaginer que dans les jolies
petites maisons qui entourent cette place on voit la mer, toujours des
deux côtés.
pourquoi ici et pas ailleurs. traîner dans le panier, que
les allemands ont rêvé de raser, c'est sentir le vieux cur
de marseille palpiter. un cur qui parle les langues du monde, les langues
de l'exil. ce n'est sans doute pas un hasard si pierre puget, architecte,
peintre trop méconnu, a édifié le plus beau bâtiment
de cette ville : la charité (la vieille charité, disent les
marseillais). par amour de son quartier natal. sans doute est-ce pour cela
que ce quartier résiste à la rénovation, qu'il se
refuse à devenir le montmartre de marseille qu'on lui avait assigné
d'être. le quartier s'embellit, certes. et tout le monde s'en réjouit.
mais, inconsciemment, ceux qui l'habitent veulent prolonger sa longue histoire.
« ça a toujours été comme ça »,
vous expliquera-t-on dans n'importe quel café. celui des treize
coins, par exemple. et d'ajouter, au cas où vous n'auriez pas compris
: « on n'est pas bien comme ça, mon beau?
ici, il est des heures du jour où l'on aime se sentir ainsi :
debout, à mi-distance entre la lumière et la mer. manière
de se redire, et chaque marseillais vousl'expliquera, pourquoi l'on est
d'ici et pas d'ailleurs.
d'une butte à l'autre. c'est sur l'autre butte, celle
de la plaine, dans les rues autour du cours julien, réhabilitées,
rénovée elle aussi qu'est né ce que l'on rêvait
pour le panier. attention, ce n'est pas non plus montmartre. c'est marseille
autrement. les boutiques des couturiers marseillais (madame zaza of marseille,
par exemple), côtoient bars et restaurants, les galeries de peintures,
les antiquaires voisinent avec les boîtes de jazz, de blues, de ragga.
mais à deux pas, la place notre-dame-du-mont n'a pas changé
ses habitudes. une place populaire, qui semble ignorer l'effervescence
qui gagne le cours julien chaque jour dès midi. d'ici aussi on domine
marseille. un coup d'il à la rue estelle, qui descend méchamment
pour remonter en pente douce sur l'autre versant.
sentir l'autre rive. le cours julien, il faut y parvenir en montant
la rue d'aubagne. après avoir traversé la rue longue-des-capucins.
la rue du marché-de-l'orient. on a pu dire que cela ne sentait pas
ici les odeurs de la provence. et c'est vrai. ici, cela sent les ports
orientaux. les odeurs du marseille éternel. il faut respirer cela,
au moins une fois. se laisser tourner la tête par les épices
et la beauté des femmes qui viennent s'y approvisionner. prendre
le temps de discuter avec les vendeurs, tous originaires de l'autre rive
de la méditerranée. cette rue, comme la rue d'aubagne, au
bout à gauche, avant d'arriver à l'ancienne halle delacroix,
c'est le voyage en méditerranée, d'istanbul à tanger.c'est
là que l'on sent - je dis bien sentir - que les deux rives se répondent
depuis des siècles. c'est quand l'on aura admis que marseille est
aussi orientale que beyrouth est latine que prendra fin, pour le voyageur
égaré, l'apparent désordre urbain de cette ville.
que montera en lui, en vous, l'évident bonheur d'être là
un jour, une semaine ou un mois. toujours, peut-être. en suivant
la mer. à ce moment-là, vous découvrirez la mer. et
la baie. immense, belle. la plus belle sans doute, après celle de
naples. vous comprendrez alors pourquoi cézanne s'est usé
les yeux à peindre l'estaque. pourquoi rimbaud est venu mourir ici,
à la fin du voyage, une fois revenu de la poésie et des hommes.
pourquoi, hier comme aujourd'hui, le vrai voyage ne peut commencer qu'ici.
marseille reste porte de l'orient.
en suivant la mer, vous découvrirez des quartiers, des villages
aux noms romanesques : les catalans, le vallon des auffes, malmousque,
le pont de la fausse-monnaie, le prophète
marseille dévide
ses coins et ses recoins jusqu'à l'impasse des muets, dans le petit
port de callelongue.
les yeux n'en reviennent pas. passé la madrague de montredon,
la roche blanche, aride, fait douter que l'on est encore à marseille,
dans le viiie arrondissement de la seconde ville de france. alors forcément,
parce que l'on est perdu, une halte s'impose devant la table d'orientation
qui fait face à l'archipel des îles de riou. le pays du grand
bleu.
les murmures d'ulysse. le bruit de la ville, son exubérance,
prennent fin ici. dans ce paysage qui ressemble aux îles éoliennes.
le silence qui tombe sur vous, à peine troublé par le teuf-teuf
des pointus qui reviennent du large, est palpable. de sel et d'iode. alors,
comme on a bien évidemment oublié d'emporter des chaussures
de marche, on s'assoit paisiblement sur un rocher, derrière un pêcheur
à la ligne.
le temps est aboli. c'est dire qu'on a vraiment tout le temps pour soi.
peut-être surprendrez-vous le pêcheur en train de parler aux
poissons. peut-être même vous surprendrez-vous à évoquer
à haute voix vos rêves d'ailleurs. ulysse deviendra une réalité.
et vous serez fier de l'avoir appris.
en revenant dans le centre ville, après avoir mangé une
pizza sur le port des goudes, vous aurez percé la vérité
de marseille. elle s'exprime en terme de soleil et de mer. elle est sensible
au cur par un certain goût de chair qui fait son amertume. d'alger,
vous entendrez alors la voix d'albert camus murmurer à votre oreille
: « ce sont souvent des amours secrètes, celles que l'on partage
avec une ville. »
petit guide irraisonné de marseille Précédent 485 Précédent 484 Précédent 483 Précédent 482 Précédent 481 Précédent 480 Précédent 479 Précédent 478 Précédent 477 Précédent 476 Précédent 475 Précédent 474 Précédent 473 Précédent 472 Précédent 471 Précédent 470 Précédent 469 Précédent 468 Précédent 467 Précédent 466 Précédent 465 Précédent 464 Précédent 463 Précédent 462 Précédent 461 Précédent 460 Précédent 459 Précédent 458 Précédent 457 Précédent 456 Suivant 487 Suivant 488 Suivant 489 Suivant 490 Suivant 491 Suivant 492 Suivant 493 Suivant 494 Suivant 495 Suivant 496 Suivant 497 Suivant 498 Suivant 499 Suivant 500 Suivant 501 Suivant 502 Suivant 503 Suivant 504 Suivant 505 Suivant 506 Suivant 507 Suivant 508 Suivant 509 Suivant 510 Suivant 511 Suivant 512 Suivant 513 Suivant 514 Suivant 515 Suivant 516